Fais-le bien et laisse dire : La secrétaire du Palais fédéral à la sexualité hors-norme

Publié le 03/11/2020

RIEN NE PRÉDESTINAIT CETTE JEUNE MÈRE DE FAMILLE, ASSISTANTE DES PLUS HAUTES INSTANCES POLITIQUES DU PAYS, À OCCUPER DURANT DES MOIS LES UNES DE LA PRESSE ALÉMANIQUE… JUSQU’À CE FAMEUX TWEET, QUI FERA BASCULER SA VIE. S IX ANS APRÈS LE SCANDALE, ADELINE LAFOUINE PUBLIE UN LIVRE POUR RÉTABLIR SA VÉRITÉ.
par Noémie Guignard

Ce mercredi du 6 août 2014, Adeline n’est pas là. Il n’y a que Mirjam. Comme chaque matin, la Bernoise se rend avec une fierté non dissimulée au Palais fédéral. Employée depuis deux ans par les services du parlement, la secrétaire à la Commission des affaires juridiques n’a guère le temps de se soucier du courriel interne qui fait sonner sa boîte électronique sur le coup de 9 heures. Le temps presse. Les envois doivent impérativement partir le jour même. Ses pas résonnent dans l’aile ouest du Palais fédéral alors qu’elle rejoint la photocopieuse. À l’approche de chaque session parlementaire, elle est chargée de préparer les documents destinés à tous les élus. Plus tard, elle devra trier cette montagne de copies dans les sous-sols du Palais fédéral. En repassant à son bureau, la secrétaire se fige. Un e-mail de son mari retient son attention. «Ils parlent de toi», écrit-il en ajoutant le lien du quotidien alémanique Blick. Immédiatement, un message interne tombe, il signale le même article. Fébrile, la secrétaire retient son souffle.

QUAND TOUT A BASCULÉ
On y évoque une femme blonde qui a «publié une photo sexy depuis le Palais fédéral sur Twitter». Mirjam est brune. Elle respire. Par précaution, l’employée des services du parlement presse son mari de supprimer tous les comptes d’Adeline sur les réseaux sociaux. Il s’empresse de tout faire disparaître, y compris son site internet. Le danger est écarté. Mais déjà, le scandale qui ébranle le Palais est dans toutes les bouches. Alors que la Bernoise rejoint ses collègues au sous-sol, elle reste anormalement silencieuse, assaillie par les doutes et la confusion. Elle se concentre sur sa respiration, refusant d’imaginer le pire. Un détail lui sera pourtant fatal. Il faut trente jours pour que Twitter supprime définitivement un compte. À 14h, la «bombe explose». Les photos dénudées d’Adeline font la une du Blick. Mirjam est dévastée. Elle voit sa vie privée livrée en pâture au grand public pour un selfie «irréfléchi» dévoilant son téton. Ce «coucou sexy» posté de son bureau de l’aile ouest par une après-midi d’ennui suffira à faire s’entrechoquer ses deux mondes, ses deux vies, celle de Mirjam, secrétaire et mère de famille alémanique qui coule une vie paisible le jour, et celle d’Adeline, libertine francophile les week-ends et la nuit, dont les vidéos amateurs de porno hardcore font 2 millions de vues.

LA SUSPENSION
Tout se précipite. La convocation du secrétaire général. Les dizaines de visages qui l’interrogent. Les mensonges. Le compte Twitter encore actif. Sa double vie mise à nu. La secrétaire est suspendue avec effet immédiat, le temps de faire la lumière sur l’affaire. Escortée jusqu’à la sortie, Mirjam est priée de rendre son badge. Sur la place Fédérale, il ne reste qu’Adeline, qui s’effondre. En larmes, elle se précipite chez elle, tente d’effacer une par une toutes les photos prises dans un contexte privé et destinées à un public averti, mais qui se sont retrouvées ce mercredi 6 août 2014 étalées à la vue de tous. Le mal est irréparable. Le soir, Adeline et Vincent sont abasourdis par l’emballement médiatique dont est victime la Bernoise de 36 ans. Elle n’est pourtant qu’une secrétaire sans responsabilités, sans fonction publique, sans influence. Certes, elle expérimente une sexualité hors norme. Mais cela reste sa vie privée. Une vie que tous les deux chérissent.

TOUTE UNE VIE DE LIBERTINAGE
C’est Vincent qui initie Adeline aux pratiques libertines, peu après leur rencontre. On est en 1997. La Bernoise a alors 20 ans, le Romand 28. Son «premier grand amour» sera aussi le partenaire de toutes ses aventures sexuelles. Alors qu’internet en est encore à ses balbutiements, les rencontres sont parfois hasardeuses, toujours drôles pour ce jeune couple soudé par un humour qui résistera à toutes les épreuves. La naissance de celui qu’Adeline aime appeler Junior ne freine pas leur soif d’assouvir leurs fantasmes. À mesure que le monde numérique se démocratise et que leurs expériences se multiplient, les libertins s’initient aux vidéos amateurs de «sexe hard». Vincent se place derrière la caméra, Adeline devant. Le jeu se prolonge sur la Toile, où la jeune femme met le plus grand soin à travailler son «œuvre d’art», un site qui marie journal intime de leurs rencontres et vidéos de leurs ébats. Leur style séduit et trouve rapidement son public, cumulant plus de 20000 followers sur les réseaux sociaux et 30 000 visites mensuelles sur le site internet. Hommes et femmes confondus. Sachant Junior aux petits soins chez les grands-parents, le couple écume les routes de Suisse romande et de France à la recherche de ce «kick d’adrénaline». Dans la région neuchâteloise, la curiosité les pousse à rencontrer Bernie, célèbre dans le milieu pour ses gangbangs, ces rencontres où plusieurs hommes paient pour «baiser une femme». C’est Bernie qui choisira le pseudonyme d’Adeline, un nom «tellement chic et tellement français». À l’idée de cette nouvelle expérience, Adeline est aux anges malgré la nervosité, insoutenable à mesure que la date approche. Dans la chambre d’un motel, les hommes sont de plus en plus nombreux à se presser, profitant de leur pause de midi pour assouvir leurs pulsions en toute discrétion. Dès que l’aventure démarre, Adeline voit le monde s’effacer autour d’elle, désormais seul le plaisir compte. «Le sentiment qui survient juste après avoir fait une folie pareille est extraordinaire. On se sent comme sur un nuage, c’est comme une boule chaude et agréable dans le ventre.» Explorant toujours plus loin ses fantasmes, le couple fait la rencontre de Master Phil et Maîtresse L., experts en pratiques BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sadomasochisme), qui lui font «sentir son corps comme elle ne l’a jamais senti». Les jeux de domination se multiplieront au fil du temps et des rencontres, dans des lofts aménagés, à Lausanne, à Montreux, à Montbéliard, dans une caserne militaire, avec des athlètes, des célébrités ou des politiciens.

ACHARNEMENT MÉDIATIQUE
Réitérées de nombreuses fois, ces aventures semblent bien lointaines au matin du 7 août 2014. Rongée à l’idée que son adolescent de 15 ans soit ainsi confronté à sa double vie, Adeline multiplie les activités pour l’éloigner de ce «tourbillon médiatique». Durant tout l’été, le couple se mure dans le silence. Malgré une envie maladive de rétablir les faits, ils ne répondent à aucune sollicitation médiatique. S’accrochant à l’espoir de retrouver son travail, Adeline se bat pour ne pas s’effondrer. Mais les services du parlement cèdent à la pression médiatique et lui proposent une séparation à l’amiable contre cinq mois de salaire. Malgré un long message d’excuses, les tentatives d’infléchir leur décision restent vaines. En tuant médiatiquement Adeline, la presse fait progressivement s’éteindre Mirjam. En perdant sa part d’ombre, la Bernoise perd aussi sa part de lumière. Au sommet de la tour qui coiffe la colline du Bantiger, la jeune femme s’éloigne de sa famille pour s’approcher dangereusement de la barrière. Un instant, Adeline imagine sauter pour se venger du sort impitoyable que lui font subir les médias. Un regard en direction de son fils la sauvera de ce geste fatal, mais
ne l’empêchera pas de s’abîmer dans l’alcool, dont elle peinera à se défaire.

RÉSISTER POUR JUNIOR
Pour s’extraire de ce cauchemar, Adeline et Vincent s’imaginent refaire leur vie dans leur appartement de vacances du Cap d’Agde, dans le sud de la France. Haut lieu du libertinage, le camp naturiste n’a plus de secret pour eux. Et avec leurs vidéos, les Suisses y sont devenus de vraies célébrités. Mais l’avenir de Junior prime. Afin qu’il puisse terminer sa scolarité en toute insouciance, le couple renonce à sa vie libertine et tente de retrouver un équilibre en Suisse. Par chance, la presse s’est emparée de deux nouveaux scandales sexuels liés à des élus alémaniques et délaisse son intérêt pour la «secrétaire porno du Palais fédéral». Pour tirer un trait sur cette affaire, l’ex-secrétaire ira même jusqu’à reprendre son nom de jeune fille, la mort dans l’âme. Eludant ses deux ans aux services du parlement, Adeline est déterminée à retrouver son honneur professionnel. Avec la nouvelle année, elle décroche un poste d’assistante de direction dans une conférence cantonale. La relation avec son chef est excellente, jusqu’au jour où elle reconnaît dans son équipe un ancien collègue des services du parlement. Une fois de plus, son passé est étalé au grand jour. Son chef n’apprécie
pas son mensonge. Elle s’explique. Il lui offre une seconde chance.

LIBERTÉ RETROUVÉE
Cette vie rangée qui les étouffe semble désormais bien lointaine. Il y a un an, alors que Junior termine son apprentissage d’employé de commerce et s’abandonne à son premier grand amour, Adeline et Vincent repensent à leur envie de s’installer au Cap d’Agde. Tous deux sont en mal d’aventures. En tournant le dos à la Suisse, ils signent leur retour sur la Toile. Leur come-back est plébiscité par les internautes, le succès instantané. On joint Adeline Lafouine en visioconférence, au lendemain d’un tournage à Prague pour Legal Porno. Radieuse, la jeune quadragénaire vit désormais de sa passion, «payée pour s’éclater». À sa reconversion réussie s’ajoute le soulagement d’avoir enfin libéré la parole. Cet été, elle a publié le livre Fais-le bien et laisse dire. Dans son accent chantant, la Bernoise raconte l’importance de ce récit écrit en français,
forme de «thérapie» qui lui a permis de livrer sa version d’un scandale qui l’aura détruite. Dans une deuxième partie, elle relate sans tabou et dans le détail tout son parcours de libertine. «Il me paraissait essentiel de faire comprendre aux femmes que pratiquer du sexe hard ne signifie pas pour autant être une mauvaise mère. Je suis très heureuse, car beaucoup de femmes m’ont écrit pour me dire que ce livre leur avait donné envie de libérer leurs envies sexuelles», confie-t-elle. Avec la parution de ce livre, Adeline a enfin trouvé le courage de révéler à sa famille sa double vie. Un soulagement. Si les parents auront encore besoin de temps pour digérer ce coming out, Junior a simplement conclu qu’il avait «la maman la plus cool du monde».

À LIRE DANS LE JOURNAL "LE TEMPS" PARU LE 30.10.2020 (PAGES 22 À 24)

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