Les Saintes Eaux : Bourrée pastorale
Publié le 25/06/2020
Habitué depuis quelques années des publications d'Avatar Press comme Crossed ou Captain Swing, l'espagnol Raulo Caceres reste avant tout un pornographe convaincu... Et pas du X sobre et délicat comme vient le démontrer avec forte générosité ce Les Saintes eaux, sous-titré par l'éditeur français Voyage en pornographie sacrée. Alléluia !
Beaucoup d'illustrateurs arrivent dans le milieu de la pornographie uniquement pour des questions pécuniaires et dans l'espoir sans doute de se faire remarquer par l'industrie mainstream un de ces jours. Si cela a été la conclusion logique pour Raulo Caceres, désormais cover-artist assez prisé ayant même collaboré avec Alan Moore sur Providence ou l'anthologie Cinema Purgatorio, il n'ne reste pas moins farouchement attaché à un genre plus que boudé par les vitrines des revendeurs et les médias. Mais plus qu'être un artiste chevronné sur ce terrain glissant, il y cultive une vision souvent extrême entre horreur graphique, sauvagerie et pratiques brutales. Pas étonnant que son trait noir et gras, sa surcharge de détails et de formes alambiquées, aient servie à une adaptation du Marquis de Sade ou à une fausse biographie peu délicate d'Elizabeth Bathory. Avec le présent Les Saintes Eaux, gageons que l'artiste a atteint l'acmé de cet art, l'imposant volume de presque 200 pages s'apparentant parfois à une succession effrénée d'orgies publiques, de baises partout et dans toute les positions et d'explorations incroyablement dilatées de tous les orifices. Rien d'étonnant pour un dessinateur qui cite ouvertement les expériences anales de Mike Adriano ! Du cul trash où les éjaculations faciales à flots ininterrompues s'inspirent effectivement souvent de la grammaire et de la dynamique des vidéos gonzos, en particulier dans le visage extatique, presque hystérique, qu'affichent ces dames au bord de la folie. Mais avec ici la particularité de donner une force primordiale à la femme, affamée et dévoreuse, plus que victime.
C'est d'ailleurs l'un des enjeux des Saintes eaux qui sous couvert de suivre l'enquête psychanalytique de la nymphomane Melania Ricius dans un petit village oublié du massif de Las Hurdes, confronte directe le culte « érectile » et masculin du christianisme aux croyances païennes liées à la terra-mater fondatrice, entre retour du pulsionnel des origines et célébrations antiques. Un voyage théologique très appliqué, autant qu'une illustration exacerbée des théories jungiennes, où viennent se mêler la truculence des obsessions lunatiques et drolatiques de nombreux personnages (le nécrophile, la sauvageonne des bois, la bonne sœur lutine, le groupe de hard métal aux performances spectaculaires, le lutin géant, le patient affublé d'un complexe d'infériorité difficilement compréhensible...) et quelques bons délires bien Z entre diablotin sataniste, apparitions d'aliens pervers et base militaire transformée en lupanar pour fana du cuir.
Citation : « oh sainte mort, reçois le bukkake eschatologique, le bain de sperme omni pénétrant, le fruit du péché testiculaire ! » (notez que le traducteur se fait plaisir). Même si le verbe est souvent alambiqué, oscillant entre cours magistral de l'histoire des religions, et poésie crue , Les Saintes eaux est une lecture aussi bandulatoire que jouissive qui pourrait s'apparenter même dans sa structure et son mélange d'absurdes contradictions en versant X du Twin Peaks de David Lynch. Foutraque mais presque aussi excitant pour le bas ventre que le haut du crane.
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