Sexe primé : interview de Stella TANAGRA
Publié le 29/05/2017
Stella est de retour ! Toujours aussi poète et amatrice de jeux de mots (poète dans l’écriture, et jeux de mots à minima pour les titres), la voici avec un nouveau recueil de nouvelles. Un recueil en un sens… surprenant comparé au premier. Un écrivain comme moi explorateur de sujets hors normes et de belle imagination ne pouvait que s’y retrouver.
Ce nouveau recueil de nouvelles semble moins porté sur l’excitation (physique ou spirituelle) que sur la singularité de chaque expérience décrite. Est-ce le cas ? Si oui, pourquoi cette orientation ?
J’écris sans me soucier d’une orientation spécifique à donner à mon travail. Je me laisse guider par l’inspiration du moment pour qu’elle s’exprime librement. Il faut croire que le moment était plus propice aux émotions fortes et aux relations hors normes pour « Sexe Primé » ! C’est une question de contexte ; j’avais sans doute quelque chose à exorciser du côté du rapport dominant / dominé…
Il s’agit aussi d’aller au-delà de descriptions sexuelles classiques. La littérature érotique est variée et profuse ; il me tient à cœur de m’en démarquer en proposant des histoires qui sortent du lot tant dans le style d’écriture que les thèmes abordés.
Naturellement, je me suis portée sur les paraphilies qui regroupent les pratiques sexuelles border line et me suis aussi intéressée à des passages à l’acte encore plus pervers voire criminels. Plutôt que de citer des exemples, voici un passage de la nouvelle « Scène de crime » :
« Je ne suis pas peu fier que ma prosodie ait fait de ce simulacre un piège irréversible. Pendant un moment nous nous regardons dans les yeux, pour tenter de comprendre le fond de nos pensées réciproques. J’essaie d’y lire si elle distingue où je veux en venir ou si elle manque trop cruellement de second degré pour y parvenir. À l’écoute attentive de son souffle saccadé qui fuit de ses narines, je conçois qu’elle sache enfin qui je suis vraiment. Ses yeux écarquillés me supplient sans un mot de ne pas lui faire de mal tandis que mes mains se referment sur ses poignets osseux. Amant ultime, passionné par ses courbes adorables, je vais l’aimer jusqu’au bout et sans aucune once de pitié. »
Les paraphilies intriguent, mais surtout choquent et répugnent. Quel est ton ressenti par rapport à ces déviances ?
J’aime recycler la mocheté en beauté ! A partir d’une histoire abominable, on peut réaliser un joli texte avec de l’émotion, de l’érotisme et du suspense. Je tiens notamment à construire des chutes qui tombent comme des couperets sur les lecteurs.
C’est aussi une forme de renouveau de pouvoir coucher ses démons, sur le papier, pour que des vicissitudes, l’on ne retienne que la beauté du drame. Par exemple, dans la nouvelle « ces messieurs me disent », je me suis basée sur ma plus irrationnelle et répugnante phobie mais je n’en dirai pas plus pour garder la chute intacte…
Quant à choquer, effectivement, c’est toujours un registre qui m’excite ! Je pars du principe qu’une œuvre doit bouleverser ou du moins toucher pour être réussie. Que ça plaise ou déplaise, peu importe, tant que ça ne laisse pas indifférent. Cela implique que je ne me positionne pas dans une provocation gratuite mais plutôt dans le souhait de faire émerger des réflexions sur la condition humaine au travers de mes récits. Par exemple la nouvelle « Ecran total » aborde la solitude et la frustration dans un contexte de misère sexuelle dont nous avions d’ailleurs parlé lors de la précédente interview. Au-delà des scènes de sexe, il s’agit donc de questionner les lecteurs sur la condition de l’Homme.
On retrouve, selon moi, certains passages qui font songer à la fin du « Parfum » de Süskind. Peut-on réellement faire du mal à l’autre par amour, voire le détruire, le tuer ?
Je dirais qu’il faut différencier la passion de l’amour. Il serait simpliste de dire que par amour, on peut blesser l’autre. L’amour, par essence, ne peut pas être nocif. C’est ce qu’en fait celui qui le ressent ou pense le ressentir, comment il le détourne consciemment ou non, débordé par des pulsions violentes envers l’autre, qui peut être destructeur. La passion est irrationnelle. Elle ne se conforme pas aux règles d’un vivre ensemble équilibré. La passion s’exprime avec ferveur, déraison, violence voire fureur qui peuvent aussi bien mener au meilleur qu’au pire. Dans tous les relations extrêmes telle que la passion, résident du danger d’où l’ambivalence des personnes qui divaguent de l’amour à la haine. La passion amoureuse est le dénominateur commun des personnages de « Sexe Primé ». Elle les entraine à enfreindre les lois afin de fusionner avec l’autre, d’une manière, au mieux, pathologique et au pire, psychotique…
Comment s’est déroulé le travail pour cette nouvelle couverture, qui est une photo de toi ?
C’est parti pour le making-of, dirait-on ! La photo a été prise dans ma chambre après que le lit et le tapis aient été retirés. Omega, comme à l’accoutumé en est l’auteur et moi, le modèle. La petite robe m’a été offerte par Néoplaisir. Le test est d’ailleurs disponible dans la rubrique « mes tests coquins » de mon blog et le téléphone est une relique de mon grand-père. Nous l’avons utilisé pour symboliser la notion d’expression puisque le questionnement principal de « Sexe Primé » est le suivant : à quel prix le sexe prime-t-il ? Nous avons opté pour une pose mystérieuse laissant le champ libre aux lecteurs, d’interpréter l’état d’esprit du personnage aux prises avec son interlocuteur.
Que penses-tu des relations humaines que l’on développe en ville ? A la campagne ? La sensualité se développe-t-elle différemment selon la région, l’âge, la classe sociale ?
Tous les facteurs sociétaux orientent notre sexualité, c’est un fait. Il y a plus de probabilités de rencontrer quelqu’un du même âge dans un univers familier qu’hors du cadre. Cela dit, il est possible depuis de nombreuses années de privilégier les rencontres faites sur le net. Dans ce cas, les portes sont ouvertes à des rencontres moins associées à notre environnement habituel bien que les personnes ont peut-être tendance à rechercher sur ces sites, des gens en miroir avec leur propre situation et statut. En tous cas, les sites de rencontres ouvrent les possibilités et donc laissent davantage de place au désir plutôt qu’à la reproduction du schéma social. Dans « Sexe Primé », je me concentre sur ces désirs inconditionnels qu’aucune norme ne parasite. Le désir est une pulsion animale et donc instinctive qui dépasse les notions d’âge, de sexe ou de classe. Il s’impose à nous. Lorsque je recherche à faire une rencontre libertine, c’est en tout cas ainsi que je fonctionne ; seul le désir parfois inexplicable, est maître du jeu.
Le désir a-t-il pour toi une notion de « possession vorace », une volonté de posséder l’autre, se l’accaparer ?
Le désir est un moteur puissant qui permet de se maintenir en vie. L’absence de désir, c’est la mort, à mon sens. Le désir peut y mener aussi puisqu’il implique du risque. Cependant il a le mérite de donner du sens à la vie. D’ailleurs on dit « mordre la vie à pleines dents », ce qui suppose que profiter de l’existence est un acte vorace ! A ce propos, les expressions : « Je te veux » ou « Prends-moi » lues au sens strictement littéral, démontrent que le désir s’apparente à la possession de l’autre. A partir de ce constat, j’ai développé dans « Sexe Primé » jusqu’où peut aller la pulsion amoureuse et/ou sexuelle. L’une des nouvelles les plus voraces est « Peau percée » dont voici un extrait : « Quatre hommes se sont avancés. ; trois autour de son visage et un entre ses cuisses. Celui-là a commencé à la doigter pour tâter le terrain, la queue aux aguets, à l’abord de sa fente. Les trois autres approchaient leur sexe à gauche, à droite et au-dessus de son visage. Leurs glands étaient prêts de se toucher pour atteindre la bouche grande ouverte de ma femme. »
Quelles sont les limites morales, selon toi, des paraphilies et sexualités hors norme ?
La limite est toujours la même : la liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre dans tous les domaines, la sexualité incluse. Mais évidemment dans la réalité, c’est plus complexe pour une raison simple : chacun n’est pas forcément en mesure de délimiter sa liberté d’action d’une part. D’autre part chacun n’est pas forcément assez armé psychologiquement pour s’opposer à quiconque voudrait abuser de lui. A mon sens, les personnalités perverses repèrent habilement les personnes vulnérables et se rencontrent alors celui qui abuse de ses libertés et celui qui ne parvient pas à protéger les siennes. Par exemple, dans la nouvelle « Un gentil garçon », je me suis appuyée sur l’observation que j’ai eu d’une collègue dont le comportement au travail était très manipulateur : « Vos limites sont les extrémités avec lesquelles il aime jouer, les tordre et les démettre en vous regardant vous débattre est d’une valeur inestimable à ses yeux. Il vous rendra coupable de ses propres maux dont il ne s’attribuera jamais la responsabilité. Vous serez celui vers qui tout converge. Vous porterez la faute à mesure qu’il se sera construit le statut de preux. Pantin dont chacune de vos articulations est menottée à sa main de fer ; son emprise est votre prison. »
Tout l’enjeu de la perversion est de faire croire à la victime qu’elle est libre de ses choix alors qu’elle est en fait sous emprise et exécute en réalité, les volontés du pervers. Entre « être libre » et « penser être libre », il y a donc un monde. Les personnes victimes de violences conjugales ne le savent que trop bien mais souvent trop tard. Généralement, ce n’est qu’à partir du moment où l’on est au pied du mur ou qu’une catastrophe se présage que la prise de conscience émerge et encore… C’est une prison aux barreaux invisibles que construisent, les pervers, autour de leurs victimes d’où l’incompréhension fréquente de l’entourage de celles-ci et la confusion des victimes qui ne voient pas toujours à temps, le piège se refermer sur elles. « Sexe Primé » parle de ces relations duelles où les personnages se construisent en vase clos sans un tiers pour arbitrer leurs turpitudes érotiques.
- Publié dans
- Littérature
Produits en rapport avec cet article
-
Sexe primé 9782363260543
COMMENTAIRES