L'Envol de l’Ange a quelque chose qui fait penser à certains romans de Françoise Sagan
Publié le 06/09/2016
La suite de L’éveil de l’ange d’Eva Delambre a quelque chose qui fait penser à certains romans de Françoise Sagan. Solange rappelle ces personnages empreint d’intensité et de mélancolie que l’on retrouve par exemple dans Aimez-vous Brahms ?, où les premières paroles sont celles d’une jeune bourgeoise évoquant la façon dont elle est à la fois détruite et revigorée par la passion qu’elle est en train de vivre.
Il y a de cela dans L’envol de l’ange, plongeant de manière approfondie dans les émotions d’une jeune soumise qui découvre les pratiques de domination sous la coupole d’un maître expérimenté. Solange devient la soumise de Tristan. Elle apprend ce que signifie l’abnégation de soi, le don de sa personne à autrui, l’utilisation de son corps par un Maître qui s’en sert pour son plaisir exclusif. Elle est un peu comme un jouet pour lui. Un jouet dont il se lassera. D’ailleurs, les choses ont été claires dès le début. Cette histoire ne durera pas toute la vie. A un moment, elle se terminera et Solange devra l’accepter. Tristan est intransigeant sur ce point. Il prévient Solange, l’invite à se protéger, à penser à ce qu’il y aura après lui.
Cette manière de vivre la relation est une façon de rompre avec les codes de la relation « vanille ». Solange est son esclave, pas son amante. C’est d’ailleurs cela qu’elle souhaite : « J’avais des sentiments, je ne pouvais le nier. Pourtant, les mots qui me faisaient frissonner n’étaient pas des mots d’amour. Ce que je brûlais d’entendre, c’était sa fierté, mon appartenance, son tout pouvoir sur moi. Je n’étais pas en quête de compliments, de tirades mielleuses ou de sérénades ».
Solange est un corps offert pour le simple plaisir du Maître, comme le montre la séance de Nyotaimori au début du roman. Tristan mange des sushis posés sur la chair offerte de sa soumise. Elle est un accessoire. La relation est hiérarchique, inégalitaire. La soumise doit saluer son maître en s’agenouillant et lui baisant la main, quel que soit l’endroit où ils sont et les potentiels badauds susceptibles de les regarder. Tout écart de conduite sera sévèrement sanctionné. Ce ne sont pas uniquement les comportements qui sont susceptibles d’être châtiés mais aussi l’état d’esprit de Solange. Lorsque cette dernière réduit sans s’en rendre compte la taille des mails qu’il lui a ordonné d’envoyer chaque jour, lassée par l’absence de réactivité de son Maître, Tristan la punit en lui imposant plusieurs jours durant lesquels il sera absent de sa vie et où elle devra lui écrire de longues lettres chaque jour. C’est durant ce soliloque épistolaire que Solange doute, se remet en cause, s’interroge sur sa condition de soumise et ses capacités d’abnégation. Les lettres qu’elle écrit à Tristan sont surtout des lettres qu’elle s’envoie à elle-même, pour reprendre la belle expression de l’écrivain marocain Edmond El Maleh.
Plus on avance dans le récit, plus on perçoit les écarts entre la figure du Maître tel que l’idéalise Solange et tel qu’il existe réellement. Lorsque Tristan lui demande une séance avec une autre fille, Solange comprend qu’ils ne sont visiblement pas sur la même longueur d’onde. Pour lui, il s’agit de tester son abnégation. Pour elle, c’est l’effondrement du sol sous ses pieds. L’histoire ne sera plus jamais la même « avant » et « après » cette demande. En même temps, Solange découvre un Tristan à l’écoute, compréhensif, attentif aux limites qui sont les siennes. Et cela lui donne envie de se dépasser, d’envisager quand même cette partie à trois, d’aller plus loin. Malheureusement, conjointement à ses désirs d’abnégation, elle se rend compte que Tristan se lasse de cette histoire, espace les rencontres, l’empêche de jouer le rôle de soumise qui est le sien.
L’intérêt de ce roman d’Eva Delambre est de montrer les rapports BDSM non pas tant comme des perversions que des exercices spirituels – au sens où Pierre Hadot entend ce terme. La soumission n’est pas un jeu. Il s’agit d’une manière de vivre, de s’accomplir par le don de soi à autrui, de mieux de se connaître soi-même en expérimentant des pratiques et des attitudes physiques ou mentales. Cela implique parfois de vivre des émotions ambivalentes : « J’éprouvais un vrai conflit intérieur. J’avais envie de me sentir en totale abnégation et de ne pas être amère de cette privation, comme il me l’avait expliqué. Mais je n’y parvenais pas. J’aurai dû n’avoir que faire de ne pas pouvoir prendre de plaisir. Pourtant je lui en voulais ».
Etre soumise est une façon de devenir plus forte. De s’endurcir. Et d’affronter l’avenir avec plus de confiance en soi, compte tenu de ce que l’on a accompli. Tristan rallume dans ses yeux des étoiles qui n’avaient pas brillé depuis longtemps. Même si c’est de manière éphémère…
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