Orgasme cosmique au Ran du Chabrier, une belle invitation au voyage.

Publié le 16/08/2016

Je me suis rendu compte, une fois terminée la lecture du premier roman de Sylvain Lainé, qu’il ne serait pas facile de parler d’un texte qui peut apparaître comme déchiré entre deux pôles : s’il est, d’un côté, solidement enraciné dans la réalité palpable d’un camping naturiste du sud de la France, lieu bien réel dont il reproduit jusqu’aux détails des installations et des événements, on le voit prendre, de l’autre, un envol tellement cosmique que votre serviteur s’est plus d’une fois senti tenté par l’envie très peu avouable de se moquer des aspirations de l’auteur, des aspirations qu’il serait beaucoup trop facile de mettre sur le compte d’un usage abusif de substances hallucinogènes. Voici un piège qu’il s’agit d’éviter, à moins de vouloir se frotter à une frivolité des plus indécentes, en présence d’un texte empreint de tout le sérieux de l’auteur, de toute sa volonté de couler en paroles un voyage extraordinaire, de rendre le caractère hors du commun d’un endroit qui semble cristalliser les élans d’une multitude d’hommes et de femmes décidés à laisser derrière eux, le temps de quelques semaines, toute banalité, pour plonger dans un univers ou libertin rime sur libéré. Et puis, on ne peut pas dire qu’on n’aura pas été prévenu, non ? Parce que, s’il y une chose qu’on ne peut reprocher à Sylvain Lainé, c’est d’avoir caché son jeu, le roman arborant en grandes lettres une sorte de devise déguisée en titre : Orgasme cosmique au Ran du Chabrier.

Un texte estival

Tout commence par un voyage, fruit d’un défi lancé par Groseille, une des protagonistes, à Charline, sa copine. Un voyage dans le sud de la France, une escapade prévue par Groseille pour initier sa copine à un univers libertin où celle-ci pourrait

hurler dans les bois comme une hyène en chaleur… avec des centaines d’hommes et de femmes, nus, excités et enivrés par des copulations toujours plus démentes. (chap. 1)

Une initiation loin des usages et des contraintes de la capitale, à l’abri des brumes, de la pluie et des conventions qui y rendent tout séjour maussade. C’est un pari réussi, et le lecteur ne tarde pas à retrouver les copines en route vers le soleil, un voyage agrémenté par une petite aventure érotique dans un village de l’Ardèche, aventure qui non seulement fournit un premier aperçu de ce qui va suivre, mais où, fidèle à l’image concoctée par les offices de tourisme, « le soleil flamboyant brillait haut dans le ciel » et où « l’air chaud […] sentait bon l’été et la garrigue. » (chap. 2).

Il n’y a donc pas le moindre doute à propos du caractère estival du roman de Sylvain Lainé, un texte où se trouve une phrase qui mériterait d’être mise en exergue au-dessus des Lectures estivales dans leur ensemble :

L’atmosphère estivale de cette journée d’été s’annonçait des plus prometteuses. » (chap. 6)

Et l’été y est effectivement partout, avec ses chemins séchés où chaque passage de voiture soulève une poussière tenace, son extrême chaleur rendue supportable par l’eau fraîche de la rivière et l’ombre bénéfique des arbres, ses jeux de boules, sa paillotte et ses carafes de rosé ; jusqu’aux nuits torrides pasées dans les discothèques, rendues suffocantes par une nature bouillonnante et la chaleur moite que fait naître le désir.

Initiation par le sexe

J’ai déjà évoqué le fait que l’initiation de Charline fournit un des sujets de ce texte, mais il ne s’agit pas ici de ce genre d’initiation dont les textes érotiques font un usage parfois excessif, dans le sens où il s’agirait de faire découvrir à une jeune innocente une pratique sexuelle comme le BDSM, ou les joies de l’homosexualité – propos d’autant plus absurde dans la mesure où Charline jouit déjà d’une sexualité décomplexée. Non, le propos de l’Orgamse cosmique au Ran du Chabrier est plutôt celui d’une initiation spirituelle, l’accession d’une néophyte (Charline), guidée par une initiée (Groseille)  vers la compréhension d’un quelconque « mystère ».

L’histoire de la littérature est bourrée de textes de ce genre, des textes dont la principale caractéristique est d’être, dans la plupart des cas, tout à fait indigestes d’un point de vue littéraire. Il faut ici décerner un premier point à Sylvain Lainé qui dépasse le modèle simplement en donnant à Charline une vraie personnalité, contrairement aux récits d’initiation habituels où le néophyte figure uniquement pour « relancer » l’initié, permettant à celui-ci de faire le tour de la question qu’il s’agit d’élucider. Il faut pourtant constater que Lainé n’évite pas toujours le piège tendu par ce genre de textes, les personnages retrouvant parfois le rôle bien peu glorieux de porte-parole d’une idée que l’auteur voudrait illustrer.

Mais on doit surtout constater que le texte mérite son épithète d’ « érotique », et que la baise n’y est pas qu’un prétexte dont on se servirait pour mieux faire passer le morceau. Les plaisrs qu’on peut tirer de la chair y sont omniprésents, et le texte contient quelques passages qui confèrent à la lecture un caractère des plus excitants. Et une phrase comme celle-ci – « je continuais à me faire limer comme une putain » – tranche joyeusement sur le mode didacto-initiatique en donnant une allure quelque peu de-ce-mondiste à toutes ces réflexions à propos d’énergies cosmiques, de « partage énergétique », d’ « éternelle force rédemptrice de la sensualité féminine » (coup de chapeau venu de loin à Goethe et à la deuxième partie de son Faust où il est question du « féminin éternel qui nous élève »), de tout ce bazar hermétique, en somme, dont il faut se charger pour procéder à des « mariages initiatiques » (chap. 5).

Mais, loin de se perdre dans les hauteurs inhospitalières, Sylvain Lainé a le pouvoir de rendre une drôle de beauté – extravagante aussi bien qu’inquiétante – même à ces passages-là, par exemple quand il décrit la frustration des mâles en quête d’une signification spirituelle de leurs copulations :

Et dans l’épuisement, leurs coups de bite résonneront dans le vide… (chap. 5)

On y trouve aussi, loin de tout érotisme, des passages qui séduisent par les détails de l’observation :

Elles [Groseille et Charline] croisèrent des hommes et des femmes à la mine défaite qui se dirigeaient au radar vers les douches pour se refaire une beauté. Des signes de vie apparaissaient ici et là comme par exemple le bruit d’une radio ou d’un rasoir électrique, l’ondulation d’une toile de tente qui venait d’être touchée, ou l’apparition d’un chien sortant de son campement. (chap. 6, p. 48)

Ou encore cette petite scène annonciatrice des ébauches à venir, véritable condensé d’ambiance qui fait penser à un détail qu’on aurait tiré d’une estampe japonaise :

Un geai sautilla au pied d’un arbuste et il s’envola derrière un rouge-gorge dans un boucan de volatile effronté. (Chap. 11)

On trouve, dans Orgasme cosmique au Ran du Chabrier, l’énorme plaisir qu’on ressent en voyant les personnages s’enfoncer dans leurs jeux impudiques, sombrer dans un déluge de plaisir, où tout le monde se mêle et s’emmêle, où les sexes s’enfoncent et reçoivent de partout. Et à côté du réalisme cru de tels passages, il y a aussi des descriptions tout en douceur, empreintes de tendresse sublime, des scènes qu’on aimerait vivre blotti contre une femme aimante, contre le ventre qu’on est en train de fouiller, enivré par le parfum qui se dégage de la peau.

Par contre, on y trouve aussi des scènes plutôt malhabiles, comme celle du chapitre 8 où l’auteur donne la description d’une orgie au fond des bois, des scènes qui trahissent un certain manque d’expérience de l’auteur, conférant à l’ensemble une certaine monotonie, voire un caractère machinal. Ce qui est particulièrement dommage quand il s’agit, comme dans le cas de l’orgie en question, d’une scène d’inspiration proprement dionysiaque, où les femmes se transforment en bacchantes, un pont menant vers les Anciens, reliant la femme moderne à celles de la nuit des temps (l’éternel féminin, vous vous souvenez ?) :

Des éclaboussures lui bardèrent le visage et la poitrine. Ajoutées aux traînées de sperme, elle [i.e. Groseille] ne ressemblait plus qu’à une femme lubrique vautrée dans la décadence d’une partie de cul au fond des bois, souillée, impudique et hystérique.

Ne faut-il pas se poser des questions quant à la présence du mot décadence dans ce passage ? Où est donc la décadence ? N’est-ce pas là un propos contraire aux intentions de l’auteur qui prône l’accession à une nouvelle spiritualité à travers le sexe ? L’usage de ce terme me semble tout à fait inapproprié ici et il faut croire que l’auteur est tombé dans un vocabulaire de cliché utilisé sans réfléchir.

Dans d’autres passages, surtout là où le narrateur occupe les devants de la scène aux dépens de ses personnages, les phrases ont tendance à devenir longues, et le ton de la narration peut ressembler à celui d’un cour magistral, aux intentions didactiques.

S’élever par le sexe ?

Sylvain Lainé voudrait expliquer aux lecteurs de son premier roman qu’il y a d’autres dimensions de l’existence, des dimensions auxquelles on peut accéder grâce au sexe, à condition d’abandonner « le mental », les raisonnements, la raison. Et il y a des endroits, comme le Ran du Chabrier, tellement rempli d’énergie sexuelle – après des décennies de copulations sauvages – que ce sont devenus des points de départs idéaux pour un voyage au-delà de la bête existence de Terrien. Sorte de Cape Canavaral des ascensions mystiques… Si je ne peux m’empêcher de retomber ici dans une certaine moquerie, je suis quand même conscient du fait que le Ran du Chabrier est devenu, pour beaucoup, un endroit à proprement parler mythique, incarnation d’un style de vie, d’une aspiration à la liberté. Il suffit, pour s’en convaincre, de recueillir les propos répandus sur la Toile, des propos dont certains ressemblent étrangement à des témoignages d’initiés…

Si je n’adhère pas à ces idées-là, cela ne m’empêche pas de décerner la beauté de certains passages du roman et de reconnaître à son auteur un talent indéniable pour la composition des tableaux érotiques et pour des descriptions dont le vocabulaire condensé arrive à faire vibrer les imaginations.

Mais on doit aussi constater que le texte souffre d’une certaine « unidimensionnalité » des dialogues qui ne servent, dans un grand nombre de cas, qu’à illustrer des idées, voire à fournir une sorte de manuel. Il ne s’agit, pour Sylvain Lainé, ni de sonder le caractère des personnages, ni de donner une vision réaliste des relations sexuelles dans des conditions marquées par une totale libéralisation des mœurs, mais d’exprimer sa conception du monde.

Et pourtant, malgré tout cela, le texte respire la joie de vivre, et on y sent battre le sang de l’auteur et de ses protagonistes. Orgasme cosmique au Ran du Chabrier, c’est finalement une belle invitation au voyage. Un voyage rythmé par des coups de reins et le jaillissement des fontaines de cyprine.

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